Le football garde chez Eugène Maës une douce saveur d'enfance. Les premiers cuirs, d'abord, tapés au début du siècle avec les amis au jardin du Luxembourg. Le premier club, ensuite, un patronage paroissial de la rue d'Assas. Les premiers exploits, enfin, comme avant-centre, en finale du trophée de France. Et l'ascension inexorable vers les sommets du football français... Du haut de ses 19 ans, il est repéré par le Red Star, ce grand club fondé par Jules Rimet en 1897.
Le Red Star, c'est la clameur du stade de Paris, fraîchement inauguré, c'est l'immense honneur de compter comme coéquipiers quelques-uns des plus grands joueurs français. C'est aussi la joie de remporter avec eux son premier titre national LFA en 1912. Convoqué chez les Bleus, Maës devient le pilier d'une sélection encore en devenir. La France découvre alors un joueur absolument hors norme pour son époque, par la taille (1,88m), le jeu de tête puissant et le style inimitable dans la surface. Les cinq buts qu'il inscrit contre le Luxembourg (8-0) constituent encore aujourd'hui un record partagé avec Thadée Cisowski. Ses quinze réalisations en onze sélections constituent le deuxième ratio des buteurs tricolores (1,36 but par match), derrière l'indétrônable Just Fontaine.
L'histoire d'Eugène Maës devient une histoire caennaise dès lors que sonne l'heure des combats de la Grande Guerre. Blessé en août 1914 avec le 36e Régiment d'Infanterie, il pose définitivement ses valises dans la ville, après sa rencontre avec Yvonne Bertheaux, fille du propriétaire de l'école de natation des bords de l'Orne. Situation inimaginable quelques années plus tôt, le SMC compte désormais dans ses rangs l'un des plus grands internationaux français.
Désigné capitaine, Maës prend la direction de l'équipe première, entraînant avec lui André Le Somptier, de retour du Red Star, Georges Outters (FC Lyon) et Julien Digoit. Nouvelle âme du club, il aligne les buts, jusqu'à inscrire, lors de l'exercice 1922-1923, un quintuplé, deux quadruplés et un triplé ! La saison suivante, il participe de façon décisive à la qualification remarquée contre l'AS Cheminots Rennais en Coupe de France.
Il reprend en parallèle les destinées du centre nautique de son beau-père, où il enseigne la natation et le plongeon. Véritable animateur de la vie sportive caennaise, il attire ponctuellement les curieux sur les rives de l'Orne, à l'occasion d'événements réputés, comme la « traversée de Caen à la nage ». Le SMC soutient toutes ses initiatives, jusqu'à organiser un match de charité après que les grandes inondations de 1925 ont durement endommagé ses installations. Maître des terrains et des cours d'eau, Maës devient également celui des guinguettes caennaises avec « Le Lido », dancing qu'il inaugure en 1928.
La vie s'écoule, paisible, jusqu'à la guerre. Le château de la Motte, belle demeure des environs, est alors réquisitionné par la gestapo. Son responsable local entretient une liaison avec une jeune caennaise, Marie-Clothilde de Combiens, dont les actes de dénonciation font la triste renommée dans la ville. « Je n'ai qu'un mot à dire pour faire arrêter Maës » s'exclame-t-elle d'ailleurs, folle de rage, après qu'il lui a refusé l'entrée dans son établissement.
Parvenue à ses fins le 21 juin 1943, elle se vante à sa voisine: « Maës s'en va comme travailleur de force, ça lui fera les pieds et ça lui fermera la gueule ». En effet, le 30 mars 1945, il décède dans le camp de Dora-Mittelbau. Condamnée à mort après la guerre, sa dénonciatrice verra sa peine commuée en prison à perpétuité, j usqu'à sa libération en 1954.
